Des
bons points à la monnaie: Evolution d'une institution
1) Présentation sommaire
de la classe
J'ai une classe de CE1, depuis trois
ans, dans une école de 10 classes à Vitrolles, dans le quartier
des Pins, en Z.E.P.
Cette année, j'ai mis en
place rapidement le quoi de neuf et le Conseil. J'ai constitué des
équipes avec des chefs d'équipes à l'aide du sociogramme.
J'ai mis en place les métiers. Nous avions élaboré
des règles de vie qui étaient affichées dans la classe.
Mais je voulais que les élèves s'engagent plus dans le respect
de ces règles et j'ai introduit les ceintures de comportement. J'ai
essayé aussi de mettre en place le travail individuel, sans grand
succès car les enfants n'arrivaient pas à travailler seuls.
Nous avons fait des albums, des
contes à épisodes avec une autre classe, une exposition et
participé à un défi-lecture. Malgré le petit
nombre d'enfants (18), les productions étaient difficiles,
fastidieuses. A la fin de l'année, nous sommes partis en classe
de découverte. La classe était vivante, sans enfant à
gros problèmes de comportement.
2) Des bons points…
Deux ans auparavant, la collègue
avec qui je travaillais à mi-temps avait mis en place des bons points
dans notre classe pour récompenser un effort dans le travail ou
le comportement. J'avais constaté une amélioration certaine
dans l'exécution du travail demandé. Je les ai utilisés
un peu avec elle sans grande conviction mais sans remise en cause non plus
pour l'avoir vu fonctionner ailleurs, avec l'adhésion des enfants,
et pour l'avoir vécu aussi en tant qu'élève.
Au début de l'année
suivante, je les ai remis en place. J'avais donné des jeux mathématiques
nécessitant un coloriage soigné. Devant les travaux baclés
je restais perplexe. Soulagée devant un travail enfin correct, je
dis:" Oh! Cela mériterait un bon point." Vif intérêt
collectif. J'explique et je mets en œuvre : dès qu'un enfant obtient
un très bien ou un bien sur son travail, il a droit à un
bon point. Lorsqu'il a cinq bons points, il peut choisir une jolie image,
avec un texte derrière. Certains n'ont pas réussi à
avoir plus d'une image dans l'année alors que les autres avaient
une collection quasi complète.
Au début de cette année,
lors d'un conseil, Sylvie demande des "bons points comme l'an dernier".
Elle avait sa copine dans ma classe l'année dernière et savait
que je donnais des bons points. J'ai laissé sa proposition de côté
en lui disant que j'y réfléchirai. Elle renouvellera sa demande
deux fois au conseil, ce qui me surprit car Sylvie était une enfant
très effacée. J'étais très gênée
car je n'avais pas envie de remettre les bons points ou, du moins, pas
de la même manière et je n'avais pas encore assez bien réfléchi
à la monnaie dont j'avais entendu parler dans le groupe T.F.P.I
Provence. J'en parle au groupe et je réfléchis encore sur
le sens de la monnaie avec Martine, qui l'utilise depuis longtemps dans
sa classe. Au conseil donc, Sylvie reparle des bons points. Je demande
alors aux enfants ce qu'est pour eux un bon point. Les deux réponses
principales sont:
"C'est une image qu'on nous donne
à la Maternelle".
" Quand on travaille bien, on a
un bon point."
J'ai repris en disant: "Mais alors
les bons points, c'est quand on est petit?" S'ensuit une discussion. Malgré
mes réticences, les autres reprennent la demande de Sylvie. "D'accord,
mais à quelle occasion dois-je donner un bon point?" Après
un petit débat: " C'est quand le travail est bien fait." J'insiste
sur le très bien. C'est voté. Les enfants me demandent aussi
les images…Je suis coincée.
3) A la monnaie
Les métiers étant
en place depuis la rentrée, vers octobre novembre, un matin à
l'occasion d'une petite discussion sur les métiers, j'ai dit qu'un
métier ça pouvait être payé. Ils m'ont regardé,
incrédules. Je voulais lancer une sorte de monnaie, mais ça
ne prenait pas; Plus tard, à l'occasion d'un conseil, je relance
l'idée que je pourrais payer les métiers. Par exemple, un
bon point par semaine. Tout le monde est d'accord. Ils me demandent: "
Et pour deux métiers?
- Deux bons points."
Les métiers sont payés
en début de chaque conseil où ils sont soumis à l'appréciation
de celui-ci.
Peu de temps après, j'annonce
que l'obtention d'une ceinture de comportement donne droit à deux
bons points. Ce qui eut d'ailleurs peu d'effet sur l'avancement des ceintures
qui étaient, par ailleurs, très (trop?) difficiles.
Les enfants comptent leurs bons
points, échangent contre des images, comparent entre eux. "Moi j'ai
X bons points.
- Lui, il en a Y.
- J'en ai plus…"
Ca m'énerve! On dirait que
c'est leur seul centre d'intérêt. Comment faire autrement?
Des trocs commençaient à
se faire sous la table. Certains échangeaient des stylos, des bracelets
contre des bons points. C'était une source de petits conflits dont
je ne comprenais pas toujours l'origine. J'ai fait cesser ces manœuvres
autoritairement tout en me disant que nos bons points commençaient
à avoir une autre fonction. Je me dis qu'il y avait urgence à
mettre en place quelque chose d'autre pour détourner ce marché
noir.
En janvier, je décide d'ouvrir
une librairie et le propose au conseil. C'est voté. On ajoute le
métier de libraire. Les enfants peuvent acheter des gommes, des
règles, des cahiers de dessin, des buvards… Je fixe les prix. Par
exemple, un crayon : 5 bons points ; une cartouche d'encre : 1 bon point
; une règle : 10 bons points.
Il y a un véritable engouement
pour la librairie. Je suis d'autant plus contente que cela permet à
chacun d'avoir son matériel pour travailler. Ils le respectent davantage
que le matériel donné. La librairie fonctionne deux fois
par semaine, pendant les récréations. Quelquefois le libraire
oublie, quelquefois j'avais des réunions. On ouvrait aussi quand
il y avait des besoins urgents. La permanence était difficile à
assurer.
Mais il y avait la queue pour acheter.
Le libraire: "J'en ai assez, ils viennent tous en même temps, ils
payent directement à la caisse. J'm'en sors plus. C'est difficile.
- Tu fais comme à la poste.
Tu leur dis d'attendre leur tour."
J'ai l'impression qu'il se passe
autre chose par rapport à ces bons points qui deviennent autre chose,
une monnaie d'échange. J'ai di plaisir à les voir acheter,
choisir, réfléchir à leurs achats, économiser
pour acheter une règle.
Par la suite les enfants demandent
plus de choix dans la librairie. Cela devenait attractif, un véritable
magasin! Ce qui était un peu le but. J'envisageais à terme,
d'ajouter à mes frais des objets de valeur (feutres fluorescents,
petits livres…)
Parallèlement le système
des sanctions a évolué vers un système d'amendes.
Sur des demandes réitérées de punitions lors des critiques
au conseil, j'ai fait constater l'inefficacité du système
fonctionnant depuis la rentrée : pour le non respect des lois il
y avait soit des barres avec au bout de 5 barres, une punition ; soit la
punition immédiate à faire signer ou non, selon la gravité
de la transgression.
Mais que trouver d'autres? Je soumets
la question aux enfants. Un enfant a suggéré de donner des
bons points pour 5 barres. D'où un vote pour essayer ce nouveau
système. Sur la fiche où l'on comptabilise les barres, j'inscris
le mot en bas: "amende : 5 barres? 2 bons points." J'explique le mot "amende".
Lors d'une leçon d'éducation
civique, nous passons une heure et demie à réfléchir
sur l'utilité des règles dans notre classe.
Puis, lors d'une séance
suivante, on établit en terme d'amende, la gravité des différentes
infractions.
La plupart des amendes sont payées
lors des conseils, à la suite des critiques. Les autres sont payées
immédiatement, par exemple si un enfant ne respecte pas le code
silence ou suite à un conseil extraordinaire lors d'une bagarre
entre deux enfants.
A mon grand étonnement,
les enfants payent facilement les amendes. Certains, par période,
cumulent les dettes mais, finalement, arrivent à tout payer, même
s'ils y mettent le temps. Ils semblent vraiment contents de s'en acquitter.
Pour rattraper les bons points perdus
par les amendes, je constate différentes stratégies :
- Myriam, d'habitude très
bavarde, me fait remarquer qu'elle n'a plus de barre, donc, plus d'amende.
- Sofian fait des efforts pour
son métier.
- Leïla obtient des très
bien…
Certains bons points disparaissent
( petits vols de bons points qui traînent, vol caractérisé
dans les enveloppes).
De nouveaux trocs apparaissent.
J'ai proposé alors le marché
pour officialiser les échanges entre eux malgré mes réserves
personnelles concernant le marché. Nous avons décidé
de le faire le samedi. Je demande en Urgence, au groupe T.F.P.I Provence
quelques conseils, les erreurs à éviter. Mais il n'y eut
pas de samedis disponibles dans les semaines qui ont suivi et "on" a oublié.
De toute façon, je ne me sentais pas prête et je redoutais
un peu les conflits.
Il y a eu un vol massif dans la
boite à bons points en fin d'année. Le problème a
été traité en conseil et l'élève a été
suspendu de bons points jusqu'à la fin de l'année, soit deux
semaines.
Avant de partir en classe de découverte,
je les ai invités à dépenser tous leurs bons points,
ne souhaitant pas les exporter à la montagne.
4) Quelques commentaires
Dans cette description, j'ai insisté
sur le passage des bons points à la monnaie et notamment, l'évolution
des enfants et de la maîtresse. A partir de là, nous avons
repéré quatre étapes essentielles:
1er moment : la librairie.
Les bons points vont servir à
payer alors que jusque là, ils servaient uniquement de récompense.
Le bon point ne se "capitalise" plus pour que la maîtresse donne
une image : les enfants peuvent choisir l'objet qu'ils achètent.
L'enfant gagne des bons points
puis les dépense pour acheter des objets.
Le bon point est déjà
une monnaie mais il ne permet pas les échanges entre les enfants.
2ème moment : le bon point
perdure.
Il y a une escalade dans ce que
les enfants attendent de la librairie. L'enseignante souhaite la rendre
plus attrayante et garde ainsi le contrôle. En effet, elle alimente
la librairie avec des objets d'une valeur de plus en plus grande. Même
si l'enfant achète selon ce qu'il a gagné, la relation de
dépendance subsiste.
3ème moment : l'amende.
L'institution évolue avec
la mise en place de l'amende. Les bons points acquièrent une autre
fonction : ils permettent de régler une dette. L'enfant doit gérer
des gains, des pertes, doit trouver des solutions pour renflouer sa caisse
et accéder à la librairie. D'où les différentes
stratégies.
4ème moment : vers le marché.
Le marché est proposé,
expliqué. Il s'ajoute à la librairie. Il ne sera pas mis
en œuvre mais existera dans l'imaginaire des enfants.
L'évolution s'est faite par
l'intermédiaire du conseil. C'est là que :
- Sylvie demande des bons points
;
- Les bons points sont votés
;
- La librairie est acceptée
;
- Les métiers et les ceintures
payés ;
- Le passage de la punition à
l'amende est déterminé ;
- Le marché est défini
et voté.
Le conseil a vraiment rempli sa
fonction, c'est le lieu où se sont générés
et modifiées les autres institutions de la classe. C'est le lieu
où les personnés et le groupe ont évolué, réfléchi
pour trouver des solutions en commun et permettre une véritable
adhésion de tous. Il n'est pas seul à l'œuvre dans la classe.
Il s'articule avec les ceintures, le quoi de neuf, les équipes,
les métiers.
Toutes ces institutions ont été
introduites dans la classe par tâtonnements. Il a fallu souvent les
réajuster et c'est parfois la transgression de la règle qui
a rendu nécessaire les changements.
Dans cette dynamique, le marché
apparaît comme une nouvelle étape, celle des échanges
mutuels entre enfants, la monnaie en étant le vecteur. Il pourrait
initier par ailleurs des échanges mutuels de savoirs, détachant
une fois de plus l'enseignant de sa toute puissance dans la classe. Avec
lui s'ouvrent des possibles et apparaissent des nouvelles questions.
L'enjeu est important, trouver
un juste équilibre, une juste place pour chacun, maîtresse
et enfants, continuer à faire de cet espace classe un lieu d'échanges
et de vie possible.
Marie Christine Gourdeau
et l'atelier 2
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